Un nouveau fou aux Iles de la Madeleine…

Les fous des Iles de la Madeleine, j’en avais déjà parlé ici, en décembre 2016, pour faire le point sur le statut du Fou brun dans la région. Ce superbe oiseau marin est, depuis, signalé quasiment lors de chaque sortie au “PNIM” et plus particulièrement entre octobre et mai, et on le voit de temps en temps passer ou pêcher devant Ngor. Pas encore d’indices probants de sa nidification, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps… voir plus bas.

Cette fois, c’est d’un autre fou dont il s’agit, et pas de celui que vous pensez – des Fous de Bassan, il y en a plein qui passent l’hiver dans les eaux dakaroises, et en ce moment même on les voit facilement de part et d’autre de la péninsule, que ce soit à Ngor ou devant les Mamelles.

En effet, il s’avère qu’un fou photographié le 26 janvier dernier par un groupe d’ornithos canadiennes (équipe 100% féminine, c’est assez rare chez les ornithos pour le souligner!), était en fait un Fou à pieds rouges (Red-footed Booby), et non un Fou brun (Brown Booby) comme initialement identifié. C’est grâce à une remarque laissée par un utilisateur d’eBird ayant mis en doute l’identité (« semble avoir les pieds étonnamment rouges pour un Fou brun! »), que la donnée est passée dans la liste à valider sur eBird, liste que je scrute de temps en temps en tant que vérificateur pour le Sénégal.

Et effectivement, l’oiseau pris en photo montre bien un Fou à pieds rouges, un individu de forme sombre – et qui du coup ressemble pas mal au Fou brun (et dont un oiseau était présent le même jour). Il se tenait sur la fameuse balise rouge et blanche qui sert très souvent de reposoir au Fous bruns, situé un peu au nord-est des îles.

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Red-footed Booby / Fou à pieds rouges (D. Thériault)

 

L’identification est relativement facile ici, d’une part parce qu’on voit encore tout juste les pattes roses, d’autre part parce que le plumage est brun uniforme y compris sur le ventre, sans contraste (même flou) comme chez les Fous bruns immatures. De plus, le bec relativement court et peu épais pour un sulidé, avec une base rosée et un cercle orbital bleu, est typique pour l’espèce. Notre oiseau montre également un front légèrement bombé, alors que chez le Fou brun il n’y a quasiment pas de front: la base du bec épais est dans la prolongation directe de la calotte, rendant la tête moins rondouillarde que chez le brun.

L’âge par contre est moins facile à déterminer: très probablement un immature, car le bec n’est pas bleu mais plutôt gris sur fond rose et peut-être que la couleur des pattes (rose et non rouge vif) est également un signe d’immaturité.

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Red-footed Booby / Fou à pieds rouges (M. O’Neill)

 

A comparer maintenant avec le Fou brun immature : ci-dessous, un oiseau d’un voire deux ans, ici en avril 2017 en compagnie de deux adultes. Les critères le distinguant du Fou à pieds rouges de forme sombre sont notamment la couleur des pattes et du bec, le contraste entre d’une part le ventre plus clair et d’autre part la poitrine et le dessus sombres, ainsi que la coloration générale plus sombre et moins pâle que son cousin à pieds rouges.

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Brown Booby / Fou brun imm. (gauche) et adultes (avril 2017)

 

C’est seulement la deuxième donnée de l’espèce au Sénégal, donc c’est loin d’être anodin comme observation! La précédente date d’octobre 2016, lorsqu’un oiseau est observé au cours d’une sortie en mer en marge du PAOC, à une vingtaine de kilomètres au large de Yoff – les détails de cette première observation pour le pays seront publiés dans le prochain bulletin de l’African Bird Club, à paraitre en septembre et que l’on partagera en temps voulu (Moran N. et al., First record of Red-footed Booby Sula sula for Senegal, voir photo ci-dessous).

 

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Red-footed Booby / Fou à pieds rouges, oct. 2016 (B. van Gemerden)

 

Le Fou à pieds rouges est une espèce marine tropicale plutôt répandue, et est classée non menacée par l’UICN bien que la population globale soit considérée comme étant en déclin. Les colonies les plus proches se trouvent sur l’île d’Ascension dans l’Atlantique Sud et sur l’archipel Fernando de Noronha (NE du Brésil). Il hiverne sur des îles tropicales sur tous les océans, en gros entre les deux tropiques.

Jusqu’à récemment l’espèce était un visiteur rare aux Îles du Cap-Vert, mais en octobre 2016, au moins 17 individus étaient présents à Raso, puis en octobre 2017 apparemment une centaine!! Autant dire que c’est l’explosion des effectifs, même si aucune nidification certaine n’a été rapportée pour le moment – du moins pas à notre connaissance. On peut donc s’attendre à d’autres observations dans les eaux sénégalaises à l’avenir, et j’espère bien sûr le voir un jour passer devant le Calao ou encore au PNIM. [addendum du 17/5/18: ce matin j’ai eu la chance d’en voir deux en train de pêcher longuement devant Ngor, non loin du rivage! Je ne pensais pas que je verrais l’espèce aussi rapidement…]

Ailleurs dans la région, Sula sula a été vu devant les côtes mauritaniennes (au moins un en oct.-nov. 2012), et des individus ont été signalés aux iles Canaries, aux Açores, et à Madeire. L’espèce est très rare plus au nord, avec p.ex. tout juste deux observations en France (un sur le lac de Sainte-Croix dans les Alpes-de-Haute-Provence en juillet 2011, puis un en juin 2017 en Bretagne dans la colonie des Fous de Bassan des Sept-Iles – voir l’article sur Ornithomedia). Ou encore cet oiseau trouvé épuisé sur une plage de l’East Sussex en septembre 2016, le premier pour la Grande-Bretagne.

Je reviens encore brièvement sur les Fous bruns, car samedi dernier (14/4) lors d’une visite aux Iles de la Madeleine nous avons pu observer de nouveau au moins sept individus : cinq posés dans leur falaise habituelle des îles Lougnes¹ (trois adultes, un subadulte, et un jeune au plumage similaire à celui de la photo d’avril 2017), puis encore deux adultes sur la fameuse balise marine, en train de parader lorsque nous passons à côté en bateau… Situation très similaire voire identique donc à celle d’avril-mai 2017, et toujours aussi intriguante: à quand la première nidification de l’espèce? Ci-dessous encore une photo médiocre de quatre de ces oiseaux dans leur falaise, prise lors de notre visite la plus récente, pour vous donner une idée.

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Brown Booby / Fou brun (avril 2018)

 

Samedi dernier il restait encore quelques Fous de Bassan, deux Courlis corlieux et deux Balbuzards, mais sinon peu d’oiseaux sur l’île. Lors de la traversée depuis Soumbedioune on a pu voir un Océanite de Wilson passer tout près, un Labbe pomarin, et plusieurs sternes (Dougall, arctique, pierregarn, caugek, voyageuse et royale) ainsi que quelques Guifettes noires en migration active (Northern Gannet, Whimbrel, Osprey, Wilson’s Storm-Petrel, Pomarine Skua, Roseate, Arctic, Common, Sandwich, Lesser Crested, Royal & Black Terns). Et bien sûr les Phaétons à bec rouge, emblème du parc, dont la nidification bat encore son plein; on a d’ailleurs eu la chance de renconter l’experte Ngoné Diop en train de faire le suivi de la colonie, qui abriterait cette saison au moins 40-50 couples nicheurs (Red-billed-Tropicbird).

 

Merci aux observateurs tout d’abord: Hélène Gauthier, Marie O’Neill, Lorraine Plante, Diane Thériault. Et à Nick Moran et Barend van Gemerden pour avoir fourni les photos et la version finale de l’article sur la première observation sénégalaise. Et enfin, à tout seigneur tout honneur: c’est Brennan Mulrooney qui à signalé la donnée sur eBird, sans quoi elle aurait bien pu passer à travers les mailles du filet!

 

¹ Les îles Lougnes sont cees îlots rocheux inaccessibles faisant partie du parc national, photo ici.

 

 

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