L’Engoulevent sans balanciers (Lagune de Somone, 8-10/10)

Parmi les 2000+ espèces que compte l’Afrique, il y a quelques oiseaux en particulier que chaque ornitho ayant mis pied sur le continent a envie de voir un jour: Bec-en-sabot, Grébifoulque, Pluvian, Bec-en-ciseaux, Chouette-pêcheuse de Pel, Touraco géant, Onoré à huppe blanche ou encore le Picatharte pour n’en citer que quelques-uns. Des espèces qui font rêver! Heureusement qu’il m’en reste quelques-uns à voir.
Il y a aussi ces deux engoulevents qui font, à coup sûr, partie de la liste: l’Engoulevent porte-etendard et celui à balanciers, deux espèces quasi mythiques, aux extensions alaires improbables. Le premier j’avais eu la chance de l’apercevoir plusieurs fois au campement dans les environs de Juba au Sud Soudan – j’avais d’abord cru voir un sac plastique blanc/noir me passer par-dessus la tête, tellement le vol du mâle nuptial ne ressemble à aucun autre oiseau. Le deuxième, je ne l’avais jamais vu… jusqu’à lundi dernier.
Avant de trop vous emporter, sachez que mes Engoulevents à balanciers (Standard-winged Nightjar) n’avaient pas de balanciers… bien malheureusement! C’est la saison internuptiale apparemment, donc les mâles n’ont pas cette rémige prolongée se terminant en grosse plume noire.
Mais Engoulevent à balanciers tout de même!! Et coche.
Cela faisait plus d’une année qu’on n’avait pas mis les pieds à la Somone (enfin, Guéréo) et déjà l’an dernier j’avais eu le plaisir de tomber sur une de ces espèces si particulières que je n’avais encore jamais vue: le Courvite à ailes bronzées. Comme quoi le coin mérite d’être parcouru! Et d’autant plus la zone autour de la “queue” de la lagune, autour du lodge nature de Dalaal Diam, super endroit en pleine nature et à deux pas de la rivière et de la lagune, établissement qu’on n’hésite pas à recommander. Immersion totale dans la nature garantie, à un tarif encore abordable.
C’est d’ailleurs aux abords mêmes du lodge que j’ai trouvé les engoulevents: d’abord un individu levé le matin du 9/10, puis en y retournant le soir pour valider mon identification et pour tenter quelques clichés. Mardi matin, j’ai pu photographier ce que je suppose être le mâle au plumage bien usé et plus clair que l’autre individu. Puis en rentrant j’ai trouvé un autre (?) oiseau à quelques centaines de mètres du premier spot.
Cette observation n’a en soi rien d’extraordinaire car cet engoulevent est un visiteur régulier pendant et après la saison des pluies, avec une présence supposée assez répandue sur le territoire, y compris dans la moitié nord lors de la saison internuptiale. Il faut juste tomber dessus! L’ami Fred d’Ornithondar a d’ailleurs bien résumé le statut de l’espèce au Sénégal ici, lecture comme toujours enrichissante et très bien documentée.
Voici pour vous faire une idée du biotope, une photo du secteur où se trouvaient mes engoulevents, dans la zone de transition entre lagune et brousse. Les oiseaux se tenaient généralement bien dissimulés entre des touffes d’herbes ou au pied de tamaris et de palmiers.
Dans la même zone, beaucoup d’Oedicnèmes du Sénégal bien sûr, et aussi plusieurs couples de Vanneaux à tête noire. Les Vanneaux caronculés se tenaient généralement au bord de l’eau, jusqu’une trentaine ensemble. L’Agrobate podobé semble assez fréquent ici.
Quelques limicoles trainent par-ci par-la, une petite bande de Spatules blanches se nourrit devant le lodge, et un soir au crépuscule j’entends un cri caractéristique: deux Ibis hagedash qui passent en vol. Ils seront suivis plus tard par quelques Bihoreaux gris. L’ibis j’en avais vu un à Dakar en août dernier et deux en août 2015 au Lac Rose, mais à part ca il ne semble pas y avoir trop de données dans cette partie du pays. Nicheraient-ils peut-être encore dans le coin? Wim Mullié avait trouvé un nid actif – la première preuve de nidification pour le pays – en août 2000 à Saly dans un jardin d’hôtel, et en 1995-96 deux oiseaux sont vus régulièrement à l’IRD de Mbour. Sinon l’espèce est restreinte au tiers méridional du pays¹.
Plus tard, ce sont deux Petits-ducs africains qui se font entendre dans le jardin (que dis-je, la brousse!) du lodge, émettant leur prrup monotone à tour de role: y aurait-il un couple installé ici?
Il y a aussi les Coucous didric et surtout jacobin, dont un juvénile visiblement né dans les parrages (et sans doute adopté par des Crateropes bruns, particulièrement nombreux ici). Fred, toujours lui, nous apprend qu’en fait il n’y a guère de preuves de reproduction, “ni ici dans ce grand nord ni ailleurs dans le Sénégal soudanien comme sahélien, “à l’exception peut-être de la région de Kidira et de la Falémé, à la frontière malienne (in Borrow & Demey, 2011).”
Voici son hôte probable:
Dans les champs je trouve entre autres l’Alouette chanteuse, Choucadors de Swainson, pas mal de Moineaux dorés, des Euplectes franciscains et au moins un vorabé, les Astrilds cendrés, etc. (Singing Bush Lark, Lesser Blue-eared Glossy Starling, Sudan Golden Sparrow, Northern Red & Yellow-crowned Bishop, Black-rumped Waxbill). L’Outarde de Savile est entendue du côté des collines de Guéréo.
Un Loriot qui se pose dans un baobab est vu trop brièvement pour l’identifier avec certitude mais d’après les cris enregistrés il s’agirait plutot d’un Loriot doré et non d’un européen. A écouter ici.
Autres migrateurs fraîchement arrivés, quelques dizaines de Fauvettes passerinnettes, une dizaine de Rougequeues à front blanc, quelques Fitis, un Rossignol, 3-4 Rousserolles effarvattes, deux Pie-grièches à tête rousse (Subalpine Warber, Common Redstart, Nightingale, Eurasian Reed Warbler, Woodchat Shrike) Et surtout, cette Bondrée qui survole le site le 9/10, une première pour moi au Sénégal, ou elle est rarement observée (Honey Buzzard).
C’est déjà prévu, on retourne au Dalaal Diam fin décembre! Et peut-être que cette fois l’engoulevent aura bien ses balanciers.
Je pourrais continuer encore sur les autres obs remarquables de ces derniers jours, mais j’ai un peu de peine à suivre avec les articles de ce blog… Puffin du Cap-Vert, Océanites de Wilson (+80 en 4 heures de suivi hier matin!) et Labbe de McCormick à Ngor, toujours le Phalarope à bec large au Technopole (photo ici), les premiers Traquets motteux (probablement un du Groenland, ssp. leucorhoa) et Phragmites des joncs, le retour des Pelerins du Diarama,… Je préfère nettement partir sur le terrain que de passer du temps derrière l’ordi, mais on verra ce qu’on arrive à écrire ces prochaines semaines.
¹ Note du 19/10/17: ce matin j’ai entendu 2-3 ibis au golf de Saly, qui pourrait donc bien abriter un couple… ou du moins, l’espèce semble encore regulière ici.
Guereo & La Somone, 18-19 mars
Voici un désormais presque classique compte-rendu des obs les plus marquantes faites pendant le weekend dernier, en l’occurrence aux alentours du lodge des Manguiers de Guereo. On y était déjà passés le mois dernier lorsque Boris et moi avons pu explorer la lagune de Somone et la réserve de Popenguine. Cette fois j’ai plutôt parcouru la brousse directement derrière le lodge, le long du rivage nord de la lagune.
Un petit tour en fin de journée après notre arrivée permet de retrouver une partie des mêmes espèces déjà vues le mois dernier: Barbican de Vieillot et Barbion à front jaune, Guêpier nain, Pintade de Numidie, les deux espèces de calaos, Choucadors à longue queue, à oreillons bleus et à ventre roux, Pie-grièche à tête rousse, Corvinelle à bec jaune etc. Egalement une bande d’une cinquantaine d’Astrilds cendrés se nourrissant dans les hautes herbes, une petite troupe de Moineaux dorés, un Traquet motteux, deux Autours sombres, puis surtout une belle surprise tout à fait inattendue: en longeant le périmètre extérieur du lodge alors qu’il commence déjà à faire nuit, je lève deux Courvites à ailes bronzées! Une coche pour moi d’un oiseau réputé difficile à trouver, non seulement du fait de ses discrètes habitudes crépusculaires et nocturnes, mais également en raison de son nomadisme. L’espèce affectionne particulièrement les terrains récemment brûlés (c’était le cas ici!), se reposant à l’ombre d’un buisson pendant la journée et restant alors la plupart du temps invisible.
L’un d’eux se pose à faible distance tandis que l’autre atterrit hors de vue dans les broussailles du jardin. J’ai alors tout loisir d’observer cet oiseau dans le détail et je tente quelques photos qui malgré la faible lumière ne ressortent pas trop mal. Le lendemain à l’aube, je les retrouve au même endroit. Cette fois la luminosité est encore pire donc je n’ai que quelques photos floues, mais on y voit une nette différence de coloration entre les deux oiseaux, peut-être aussi une différence de taille: seraient-ce un adulte et un jeune? Difficile de l’affirmer à coup sûr car je n’ai pas de photos montrant le dos et les ailes (qui chez un jeune auraient encore des lisérés sombres aux couvertures). Je n’ai pas trouvé de références à un éventuel dimorphisme sexuel, et il n’y a que peu d’images de juvéniles disponibles sur le web donc aucune certitude sur l’âge de ce 2e oiseau.

Bronze-winged Courser / Courvite à ailes bronzées

Bronze-winged Coursers / Courvites à ailes bronzées
Consultant le Birds of West Africa (Borrow & Demey), je constate que ce courvite, contrairement au Temminck, serait absent du quart occidental du pays – il n’y a qu’une petite croix rouge indiquant une observation isolée, sur la Petite Côte. Selon Morel & Morel, dans le nord du pays ce courvite est un “visiteur de saison des pluies assez commun en saison des pluies ; peut-être tout le territoire, selon les saisons […]”; Rodwell & Sauvage rapportent une observation d’un couple en mars 1990 à Mbour, donc non loin et à la même époque de l’année que l’observation relatée ici. Wim Mullié l’a vu une fois près de Toubab Dialaw, soit une dizaine de kilometres plus au nord, et bien sûr ailleurs au Sénégal (dont le Saloum), mais je n’ai pas retrouvé d’autres observations de la côte¹. En Gambie, Clive Barlow mentionne la présence de l’espèce sur au sud de l’embouchure du fleuve, et me dit qu’il y a des indices de mouvements saisonniers (observations dans des jardins d’hôtel ou d’oiseaux ayant percuté des fenêtres à Banjul). C’est d’ailleurs Clive qui a pu documenter le premier cas de nidification en Sénégambie, relaté dans une note brève dans le Bulletin de l’ABC 9.2 (2002). Le nid, trouvé en février 2002 en Gambie, était situé sur un terrain ravagé par un feu de brousse un mois auparavant: les similitudes en termes de saison et de biotope avec la donnée de Guereo sont frappantes. On peut donc supposer que le Courvite à ailes bronzées soit regulier, peut-être même en tant que nicheur, sur la Petite Côte et probablement jusqu’au Saloum.
Pour clore ce petit chapitre des courvites, ajoutons encore une photo du biotope, justement: les oiseaux se tenaient le long de la haie au centre de la photo. Le terrain a été brûlé il y a 6 semaines environ “pour protéger les plantations de manguiers des feux de brousse.”
Je continue donc ma balade matinale en direction de l’amont de la lagune. Deux Spatules blanches passent en vol, quittant la lagune peu après l’aube: sont-elles en route vers l’Europe? S’ajoutent encore à la liste une bande d’Irrisors moqueurs agaçant un Autour sombre, un Faucon pèlerin adulte transportant une proie que j’identifie comme Tourterelle maillée, Vanneaux à tête noire et bien sûr éperonnés, etc. Surtout, j’arrive enfin à faire quelques enregistrements corrects car il n’y a que peu de vent ce matin, à écouter sur xeno-canto.

Yellow-billed Shrike / Corvinelle à bec jaune
La deuxième surprise du séjour proviendra d’un petit passereau terne et discret, que je prends d’abord pour une Hypolaïs obscure, mais en l’observant je vois rapidement que l’oiseau ne cesse de hocher la queue: il doit donc s’agir d’une Hypolaïs pâle, espèce beaucoup moins fréquente en Afrique occidentale. Je tente de prendre des photos et des sons, qui me permettent plus tard de confirmer mon identification. Rien que le mouvement de la queue, très régulier, est tout à fait caractéristique et le distingue des Hypolaïs obscures dont la structure et le plumage sont très proches. J’ai eu la chance de pouvoir saisir deux clichés montrant ce hochement, permettant de simuler le mouvement (image du bas). D’autres caractères moins évidents sont également visibles: bec plus fin, lisérés clairs au secondaires formant une plage alaire pâle, plus ou moins bien visible selon la position de l’oiseau, queue relativement courte, petite tache noire devant l’oeil (visible sur certaines photos uniquement). Si le chant diffère entre les deux espèces, le cri – un tchac ou tchec assez doux mais insistant, régulièrement émis pendant que l’oiseau se nourrit dans les buissons – est très similaire sinon identique à celui de l’obscure.

Eastern Olivaceous Warbler / Hypolaïs pâle

Eastern Olivaceous Warbler showing tail-wagging movements / Hypolaïs pâle montrant le mouvement de la queue
Qu’en est-il au juste de la répartition de ce taxon au Sénégal? Peu d’observations sont connues, si bien que beaucoup de cartes de répartition n’incluent pas le pays ni même la partie occidentale de l’Afrique de l’Ouest. Les Morel font état de deux captures de la sous-espèce reiseri (celle qui niche en Afrique du Nord-Est et dont certains hivernent en Sénégambie), mais Borrow & Demey n’incluent pas la Sénégambie dans l’aire d’hivernage alors qu’il existe plusieurs observations documentées, notamment des captures en Gambie. Il n’y a à ma connaissance que l’excellent Reed and Bush Warblers (Kennerley & Pearson 2010) dont la carte de répartition – avec délimitation des sous-espèces de surcroît – paraît correcte pour la région.
Les buissons où se tenait l’hypolaïs étaient fréquentés par plusieurs autres passereaux en hivernage ou en escale ici: un Pouillot véloce, 2-3 Rougequeues à front blanc, une ou deux Fauvettes grisettes. Mais il est temps d’avancer…
Côté lagune, une brève visite prés de l’embouchure permet d’estimer (à la louche!) 350-400 Sternes royales, au moins 20 caugeks, 70 Goélands railleurs, 150 bruns, 20 Mouettes à tête grise, et au moins 2 Mouettes rieuses et 2 Sternes hansel – tous aussi bruyants les uns que les autres. Les Sternes royales, bien qu’elles ne soient pas nicheurs ici, paradent à volonté. Dans la vasière, quelques Pluviers argentés, Barges rousses, Chevaliers aboyeurs et gambettes, Courlis corlieux et un Courlis cendre sont les seuls limicoles à se montrer. Ici, la surprise provient de 5 Grues couronnées vues brièvement survoler la lagune au milieu de laquelle elles semblent se poser. Cette espèce emblématique, au statut de conservation Vulnérable selon la Liste Rouge de l’IUCN, n’est sans doute que de passage en très petit nombre sur la Petite Côte et dans les régions de Dakar et Thiès, à en croire la poignée d’observations dont nous avons connaissance.

Western Red-billed Hornbill / Calao occidental
¹ Entre-temps (le 4/5/16) j’ai tout de même trouvé cette observation faite par Etienne Henry qui a photographié un Courvite à ailes bronzées le 17/10/13, aussi à la Somone (“du côté “sec” de la lagune, à l’est, pas très loin de la piste qui mène au Dalaal Diam”).