Technopole 29/4: Goélands dominicains & co.

Sortie dominicale de routine au Technopole avant-hier 29/4, avec comme presque toujours quelques observations intéressantes à la clé.
A commencer par ces trois Goélands dominicains (Kelp Gull), espèce rarement observée au Technopole et à Dakar de manière générale : en scannant un groupe de laridés essentiellement composé de Goélands d’Audouin (quelques 85 inds. en tout, un bel effectif pour le site; Audouin’s Gull), un oiseau costaud sort du lot et lorsque j’arrive à voir son bec massif, je peux confirmer qu’il s’agit bien de Larus dominicanus, pas de doute possible cette fois. Un individu adulte ou presque, de taille nettement supérieure aux quelques Goélands bruns (Lesser Black-backed Gull) dans le même groupe, au bec énorme, un manteau bien sombre, et des pattes grises très claires tirant vers le vert. L’iris sombre est conforme à la ssp. vetula (Goéland du Cap, Cape Gull). A côté de lui se tiennent deux immatures avec la même structure et des pattes de la même couleur que l’adulte, soit trois Dominicains en tout. Les deux jeunes ont un âge similaire, ayant un plumage de type “2e cycle”, donc dans ce cas précis ce seraient des oiseaux nés en 2016. A part la taille et la forme du bec, la couleur des pattes est diagnostique et permet de rapidement repérer l’espèce au milieu de groupes de Goélands bruns, qui ont des pattes jaunes (adultes et subadultes) ou roses (immatures). Les trois oiseaux sont visibles sur la photo ci-dessous.
Pour plus d’infos sur l’identification des Goélands dominicains, voir notamment cet article de Jiguet et al. paru dans Birding World (2002), et aussi ici pour ce qui est des oiseaux de premier cycle.
Clive Barlow et Tim Dodman se sont penchés sur la population ouest-africaine, dont le petit noyau se trouve dans le delta du Saloum où l’espèce niche de manière régulière depuis 1980 au moins, lorsqu’un couple présumé mixte G. dominicain x G. brun fut trouvé sur l’Ile aux Oiseaux. Par la suite, des nidifications par des couples purs sont prouvées dès 1983 par Erard et al. Quelques individus fréquentent régulièrement la Gambie et la Mauritanie, et s’y reproduisent parfois, peut-etre aussi en Guinée-Bissau? Et avec l’intérêt grandissant que portent les ornithos européens au Sahara occidental – ou Sahara atlantique marocain, selon quel point de vue politique on adopte! – l’espèce est vue plus ou moins régulièrement en très petits effectifs plus au nord sur le continent, et il y a même quelques observations récentes au Portugal et en France. Clive et Tim émettent l’hypothèse que notre petite population isolée soit établie par quelques oiseaux égarés depuis l’Afrique australe (Afrique du Sud / Namibie), et que cette population soit maintenant autonome sans qu’il n’y ait de mouvements réguliers entres les populations australes et celle d’Afrique de l’Ouest. Il y aurait ainsi entre 20 et 50 couples dans la région. Une étude génétique est en cours ou du moins est-elle prévue, sauf erreur.
En région dakaroise, ce goéland hautement côtier est assez régulièrement signalée par des observateurs de passage, mais je ne suis pas sûr que toutes les observations soient réellement fiables… D’après mes propres données de ces trois dernières années le Goéland dominicain est très peu fréquent. Cela dit, je ne suis pas un larophile et si je faisais plus attention à ce groupe difficile que sont les grands goélands, j’en verrais probablement plus souvent!
Ainsi, Niklas Holmström et collègues en signalent pas moins de 20 entre le 13 et le 27/10/03 devant Ngor, mais un seul entre le 3 et le 16/10/05. Une équipe danoise en compte même 57 en « en migration vers le sud » du 22 au 29/10/04 – vraiment étonnant vu que l’espèce n’est présente qu’en très faibles effectifs plus au nord, et qu’en plus ils ne signalent aucun Goéland brun alors que c’est l’espèce dominante à cette période. En 2010, on passe à des effectifs plus raisonnables me semble-t-il, avec trois individus entre le 30/9 et le 8/10 (R. Lebrun) et autant du 25 au 31/10/10 (P. Crouzier & co.). Plus récemment, un Goeland dominicain est rapporté le 24/2 de Ngor par un groupe de naturalistes belges.
Pour ma part, ma seule autre observation au Technopole datait du 6/8/17, d’un immature que j’avais identifié comme dominicain et dont je reprends une des photos floues ci-dessous (l’autre est là) – commentaires bienvenus! Puis avec Manuel en février dernier on a également soupçonné un dominicain, mais trop loin et pas de photos pour confirmer l’identité de l’oiseau. Idem les 11 et 30/8/17 lorsque des probables dominicains passent devant Ngor.
Autre observation intéressante, celle d’un probable Heron « pâle », la sous-espèce monicae du Héron cendré qui ne niche qu’au Banc d’Arguin et peut-être ailleurs sur les côtes en Mauritanie et que certains considèrent même comme une espèce à part entière (“Pallid” or “Mauritanian” Heron). L’aspect très clair était frappant, et malgré la distance on arrive à bien voir les petites stries noires, fines et courtes, sur le cou qui comme le reste des parties inferieures parait presque aussi blanc que la Grande Aigrette. Le manteau était d’un gris pâle à l’exception d’une tache plus sombre à « l’épaule ». Il y a juste le dessin de la tête qui peut sembler un peu top contrasté pour un monicae classique, mais en regardant de près les quelques photos d’oiseaux mauritaniens cela semble encore rentrer dans la normale pour cette sous-espèce. Pour compliquer la chose, il y aurait des oiseaux intermediaires, et peut-être que c’est donc aussi le cas pour notre oiseau du Technopole (visibement un adulte nuptial). Bien entendu je suis preneur d’autres avis!
Il doit s’agir d’un des ardéidés les plus rares au monde, la population totale ne comptant que quelques milliers d’individus, avec une aire de répartition très restreinte. Si c’est bien un mauritanien, alors il s’agirait de ma première observation d’un oiseau manifestement rare à Dakar. Ces derniers mois il y a eu au moins deux autres observations dans la région : un le 13/2 au parc de Hann (Gottlieb Dandliker, Cyril Schönbächler; photo ci-dessous) et un le 24/2 aux Iles de la Madeleine (M. Demeulemeester et al.). Monicae est plus fréquente en hiver dans les zones côtières du nord du pays, notamment autour de la Langue de Barbarie et Saint-Louis, mais même là le taxon reste d’observation plutôt aléatoire. Les observations d’Ornithondar permettent d’en savoir plus sur le taxon dans le Bas-Delta, et de comparer les photos avec l’oiseau du Technopole: articles bien instructifs ici et là.
Tout cela pour dire qu’en gros, aussi bien l’identification que le statut et la distribution au Sénégal restent encore à préciser! On trouvera quelques infos résumées sur la page dédiée au Héron cendré sur le site du groupe HeronConservation.
Troisième espèce inattendue, vue par chance alors que j’étais en train de quitter le site : six Bengalis zébrés (Zebra [Orange-breasted] Waxbill). Ce sympathique petits passereau avait été vu pour la première fois au Technopole en janvier-mars 2017, et depuis j’ai pu en voir également à Yène, plus précisément le 1er janvier dernier. On peut donc supposer que ce nicheur du Bas-Delta sénégalais et du Saloum soit un erratique plus ou moins régulier dans la région dakaroise.
Pour le reste, il y a de nouveau un petit groupe de Flamants roses (10 ind.), les premiers poussins d’Echasses blanches – juste trois pour le moment, déjà vus le 21/4 – et plusieurs adultes en train de couver; également un poussin de Vanneau éperonné; quelques Bécasseaux variables et surtout une bonne présence de Sanderlings (+150) et de Sternes caugeks notamment; une Hirondelle de rivage retardataire; et toujours quelques Spatules blanches et d’Afrique (Greater Flamingo, Black-winged Stilt, Spur-winged Lapwing, Dunlin, Sanderling, Sandwich Tern, Sand Martin, Eurasian & African Spoonbill). Sinon assez peu de limicoles, la plupart des chevaliers, pluviers, combattants et autres bécasseaux étant de retour en Europe maintenant: on attend déjà leur retour, d’ici deux mois à peine pour les avant-coureurs. Par contre, il y a toujours autant de Bihoreaux gris: une bonne trentaine (Black-crowned Night-Heron).
Le Souimanga cuivré est vu à chaque sortie en ce moment, et la semaine passée il y avait également un superbe mâle de Souimanga éclatant, photo ci-dessous (Copper & Splendid Sunbird).
Plutôt d’accord avec toi, quant au héron pâle. Sur les photos de mes deux billets qui suivent, on notera que le premier (PNLB) a aussi un dessin de type ‘cendré’ à la tête, et que le second (Bango) a l’aspect classique du monicae pure souche. Ton hypothèse d’intermédiaires (un peu comme chez les grands cormorans lucidus/maroccanus que je viens d’observer à Knifiss) est sans doute bienvenue. D’autant qu’il est arrivé à plusieurs observateurs du delta saint-louisien, là où l’apparition de monicae est la plus ancienne et ‘fréquente’, de rencontrer des sujets autrement et franchement problématiques… Des hybridations ? Monicae ne serait-elle en fait qu’une forme (une teinte ?) très locale d’ardea cinerea due aux spécificités bio-climatiques du Banc d’Arguin ? Amitiés. F.
https://ornithondar.blogspot.fr/2016/02/12-13-pnlb-un-heron-pale-sur-la-lagune.html
https://ornithondar.blogspot.fr/2013/02/6-un-heron-pale-du-banc-darguin.html