Les Monticoles de Popenguine (13/02)

Les falaises du Cap de Naze entre Popenguine et Guereo sont connues depuis longtemps comme site d’hivernage du Monticole bleu, cette espèce méditerranéenne partiellement migratrice qui atteint ici sa limite méridionale en période d’hivernage. C’est aussi le site le plus fiable pour l’Hirondelle de rochers hivernant dans le pays, et apparemment aussi, en saison des pluies, pour le Martinet à croupion blanc (caffre) que j’ai pu y voir en septembre dernier. Une visite sur place avec Boris samedi dernier était donc l’occasion de passer un peu plus de temps dans la réserve et de chercher les “merles bleus” (à ne pas confondre, comme le font les gens du coin, avec les Merles métalliques!). C’est depuis le village de Guereo que nous sommes partis, en fin d’après-midi, en longeant les crêtes jusqu’à Popenguine avant de regagner notre point de départ par la plage.

Avant même d’avoir commencé à grimper le chemin qui mène en haut des falaises, un oiseau de la taille d’un merle vole devant nous: un Monticole de roche! Ça commence bien… d’autant plus que cette espèce est probablement plus difficile à trouver que son cousin bleu. Hivernerait-il ici? En consultant le Morel & Morel, je constate qu’il y a déjà eu plusieurs observations sur ce site même, bien que l’espèce semble généralement très peu détectée au Sénégal: seules douze observations étaient connues au moment de l’article de Sauvage & Rodwell soit jusqu’en 1994 (et la rubrique “News” des pages Sénégal de l’African Bird Club contient une observation de début février 2005 entre Kaolack et Tambacounda). Addendum nov. 2018: j’ai trouve une vidéo sur la Internet Bird Collection d’un Monticole de roche mâle datant du 20/1/2010 à… Popenguine. Et en novembre 2018, nous avons de nouveau pu observer un individu dans la réserve – comme quoi le site semble un des meilleurs au Sénégal pour voir ce migrateur assez rare. 

En avançant, un Bruant d’Alexander peu farouche, apparemment un juvénile, se montre sur le sentier, le premier de toute une série vue pendant notre tournée. J’ai d’ailleurs pu voir ce sympathique petit oiseau a chacun de mes visites, souvent avec plusieurs males chanteurs repartis dans les éboulis au pied de la falaise. Bruant de qui au juste? Jusqu’à récemment ce taxon était généralement considéré comme une sous-espèce du Bruant cannelle (Cinnamon-breasted Bunting) qui vit principalement en Afrique australe et orientale et dans le Sud de la Péninsule arabe. Si les différences de plumage sont assez marquées, il en est moins avec le chant et le cri qui sont très similaires, sinon identiques, entre les deux espèces (j’ai récemment pu enregistrer plusieurs chanteurs près de Bamako, à écouter en cliquant ici). Alors, “simples” sous-espèces, ou réellement des espèces à part entière? Peu importe, ce sont des piafs bien sympathiques!

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Gosling’s Bunting / Bruant d’Alexander

 

On continue de suivre le sentier longeant le sommet des falaises, et à tour de rôle on observe Circaète Jean-le-Blanc (en migration active?), Agrobates roux et podobé, un Pririt du Sénégal, un couple de Beaumarquets melba (ma première observation au Sénégal), une ou deux Pie-grièche à tête rousse et autres Fauvettes grisettes.

Point de merle bleu par contre… pensant encore rentrer bredouille sur ce coup, ce n’est qu’en arrivant au bout de la plage de sable, avant de passer dans les rochers volcaniques, que je repère un oiseau sombre au sommet de la falaise. C’est bien lui – un beau mâle de Monticole bleu, observant tranquillement les environs depuis son promontoire surplombant la mer… La photo ci-dessous est prise depuis la plage donc à bonne distance de l’oiseau, probablement 80-100 mètres (le sommet du Cap de Naze s’élève à 74m). On fait donc un doublé inattendu avec les deux espèces de Monticola hivernants!

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Blue Rock Thrush / Monticole bleu

 

Mais justement, qu’en est-il du statut du Monticole bleu – le “solitaire” – au Sénégal? Paul Robinson a déjà bien résumé la situation suite à une visite en 2012, donc je reprends ici l’essentiel: En dehors de Popenguine, les seules falaises côtières d’envergure sont celles des Mamelles à Dakar, ou quelques données anciennes sont connues, mais c’est peut-être faute de recherches spécifiques qu’il n’y a rien de plus récent. Morel & Morel font bien état d’une population de quelques dizaines d’hivernants sur la côte (Cap-Vert, Gorée, Popenguine), d’une présence hivernale dans le contre-bas du Fouta-Djalon à la frontière guinéenne, et de plusieurs observations isolées sur des bâtiments, faute de relief. A Popenguine, l’espèce serait présente de mi-octobre (dixit l’ornitho local Sonko) à début avril (Morel & Morel) mais des estivages ont été notées dans les années ’80. Une reproduction régulière à Popenguine serait vraiment étonnante eu égard de son aire de répartition typiquement méditerranéenne, et les seuls indices, à notre connaissance, sont anciens et n’ont pas apporté de preuve concrète. Peut-être que les observations de 1983 et ’84, même si des comportements nuptiaux ont été observés, se rapportaient à des estivants occasionnels.

Pas le temps de s’attarder beaucoup plus car le soleil se couche vite et on veut rentrer au lodge des Manguiers de Guereo avant la tombée de la nuit. On croise encore un Courlis corlieu et deux Rolliers d’Abyssinie, puis on regagne le village.

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Whimbrel / Courlis corlieu

 

Le lendemain matin, on se retrouve à l’aube – malgre le liqueur de Warang de la veille – pour partir cette fois dans la lagune de Somone, facilement accessible à pied depuis les Manguiers. A peine sortis du périmetre du lodge, on repère un puis deux jeunes Loups africains peu inquiets par notre présence. Un peu plus tard, on les reverra trotter dans la mangrove.

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African Wolf / Loup africain

 

En parcourant un ilot dans la lagune, on tombe sur trois Balbuzards posés au sol. Vérification faite, l’un d’eux est bagué en couleurs et après un moment on arrive enfin à déchiffrer l’inscription sur la bague orange: “5 [point] V”. Cette femelle a ete baguée en juin 2012 comme poussin au nid par Rolf Wahl en Forêt d’Orléans (Loiret), le bastion de l’espèce en France continentaleª. Depuis, elle a été vue en janvier 2013, novembre 2013 et février 2014, à chaque fois à la Somone. Bel exemple de fidelité au site d’hivernage!

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Osprey / Balbuzard pêcheur femelle “5 . V orange”

 

Peu de limicoles et de laridés de ce côté de la lagune, mais tout de même quelques migrateurs à se mettre dans les jumelles: un Martinet pâle, quelques Hirondelles de fenêtre et de rivage, encore une Pie-grièche à tête rousse,… Egalement une Rousserolle turdoïde entendue dans la mangrove, espèce apparemment peu signalée au Sénégal.

 

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Abyssinian Roller / Rollier d’Abyssinie

 

Pour finir je ne résiste pas l’envie de partager cette photo d’un Sphinx du Liseron, malheureusement mourant, prise aux Manguiers de Guereo.

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Convolvulus Hawk-Moth / Sphinx du Liseron (Agrius convolvulvi

 

ª Pour en savoir plus sur l’historique du Balbuzard en France et en Forêt d’Orléans, lisez cette synthèse sur ornithomedia.

PS du 21.02: à propos des Balbuzards hivernant au Sénégal, voir la note de Frédéric Bacuez sur ornithondar, tombé le même jour que l’article ci-dessus.

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