Évolutions taxonomiques de la liste Sénégal

La littérature disponible pour l’identification des oiseaux d’Afrique de l’Ouest a longtemps été très limitée, et ce n’est que depuis 2002 et la parution du guide Birds of Western Africa de Borrow et Demey que ce manque a été en grande partie comblé. Une deuxième édition de ce guide est sortie en 2014, ainsi que des traductions en français de ces ouvrages (Guide des oiseaux de l’Afrique de l’ouest en 2012 suivi de Oiseaux de l’Afrique de l’Ouest en 2015). Deux déclinaisons nationales de ce guide ont été publiées, à savoir Birds of Ghana (2010) et Birds of Senegal and the Gambia (2012) qui est le guide le mieux adapté pour l’ornithologue visitant le Sénégal, bien que limité à une version anglaise.

La taxonomie utilisée dans ce guide a évolué suite à la publication de nombreux travaux scientifiques, et il n’est pas rare que lorsqu’on parcourt un compte-rendu de voyage récent ou qu’on veuille saisir des données sur une base de données participative comme observado, ebird ou autre on tombe sur des espèces aux noms inconnus ou différents de ceux qu’on a l’habitude d’utiliser. La taxonomie, qui est la science s’attachant à nommer les organismes vivants, est comme son sujet d’étude : vivante. Elle évolue au gré des avancées scientifiques et technologiques, et permet de cerner les liens et différences entre espèces. Les noms donnés aux espèces peuvent donc évoluer, au grand dam de nombre de naturalistes. Cet aspect est à considérer, notamment quand on consulte la littérature ancienne. Un exemple de changement de nom d’espèce générant des erreurs d’appellation dans les carnets de terrain et sur les bases de données en ligne est celui du Pic goertan. Dans le livre de Morel et Morel Les oiseaux de Sénégambie (1990), ainsi que dans le vieux Serle & Morel (1993) – pendant longtemps l’unique guide de terrain pour l’Afrique de l’Ouest – le Pic goertan est nommé Pic gris, qui réfère aujourd’hui à une espèce différente, bien plus rare et présente au Sénégal uniquement dans le nord du pays, anciennement nommée Petit Pic gris.

Les concepts de délimitation d’espèces se font et se défont au cours du temps, et à l’heure actuelle les recherches ne permettent pas encore de lever le voile sur les liens taxonomiques au sein de certains groupes, comme c’est le cas chez la Pie-grièche « grise » que l’on observe au Sénégal, tantôt rattachée à la Pie-grièche méridionale et tantôt rattachée à la Pie-grièche grise. Parfois appellée “Pie-grieche grise du désert”, ce groupe comprendrait alors au moins trois taxons présents dans le pays: elegansleucopygos et algeriensis.

Dans cet article nous listons tous les changements de noms effectifs depuis la parution de la deuxième version du guide Birds of Western Africa, et l’article sera mis à jour à chaque évolution taxonomique. La liste d’espèces proposée par l’International Ornithological Committee (IOC) sera prise comme référence principale ; c’est aussi celle que nous avons suivi pour établir la liste des oiseaux du Sénégal. Nous ne tenons pas compte dans cet article des évolutions taxonomiques n’amenant pas à un changement du nom d’espèce, tels que le changement d’orthographe des noms scientifiques ou les changements dans les rangs taxonomiques supérieurs au rang d’espèce (changement de famille).

Il faut savoir que la plupart des noms nouveaux ne sont pas issus de la découverte de nouvelles espèces, mais de la réévaluation du statut taxonomique d’espèces ou de groupes d’espèces grâce à l’utilisation d’outils et de techniques d’analyse génétique récentes. Le résultat de ces études est le plus souvent un split, qui est la reconnaissance de différentes espèces à partir de taxons avant considérées comme appartenant à une seule espèce. Sur la base de différences génétiques, morphologiques, accoustiques et/ou d’aire de répartition on aboutit alors à la description de nouvelles espèces. D’autres ajouts taxonomiques proviennent de l’étude d’espèces cryptiques, comme chez les drongos dernièrement. Des analyses génétiques ont permis de reconnaître un ensemble d’espèces différentes chez des espèces à large répartition montrant des variations morphologiques mineures d’une région à l’autre.

Si tout le monde s’accorde pour dire que le nombre actuel d’espèces reconnues en tant que telles est sous-estimé, certains chercheurs pensent même qu’il y aurait en réalité plus de 18’000 espèces distinctes, soit près du double du nombre actuellement établi. Des travaux récents (Fuchs et al. 2018) ont par exemple révélé que le Drongo brillant, espèce couramment observée dans les savanes ouvertes africaines, comprend un minimum de cinq espèces, et que le Drongo de Ludwig présent dans nos contrées est en fait une espèce bien distincte auparavant passée inaperçue.

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Glossy-backed Drongo / Drongo “brillant” (Dicrurus divaricatus), Ziguinchor, Jan. 2019 (B. Piot)

Les résultats de tels travaux scientifiques ne sont pas toujours reconnus par toutes les instances nationales et internationales en charge de la taxonomie et de la nomenclature, et certaines instances reconnaissent un plus grand nombre d’espèces que d’autres. Afin de se maintenir au courant des avancées récentes en termes de taxonomie, il est possible de consulter le site web de l’IOC qui résume biannuellement les résultats des travaux scientifiques dédiés.

Voici donc la liste des principaux changements taxonomiques à prendre en compte depuis la publication du Birds of Senegal and the Gambia (2012) :

Puffin de Macaronésie (Puffinus baroli) ⇒ splitté en deux espèces présentes au Sénégal : Puffin de Macaronésie – Barolo Shearwater (Puffinus baroli) et Puffin de Boyd – Boyd’s Shearwater (Puffinus boydi). Il n’y a pas si longtemps que cela, ces taxons étaient considérés comme faisant partie du “Petit Puffin” (P. assimilis).

Puffin cendré (Calonectris diomedea) ⇒ splitté en deux espèces présentes dans les eaux côtières du Sénégal : Puffin de Scopoli – Scopoli’s Shearwater (Calonectris diomedea) et Puffin cendré – Scopoli’s Shearwater (Calonectris borealis). Auparavant, même le Puffin du Cap-Vert faisait partie de C. diomedea. Nous avions résumé les principaux critères d’identification de ces trois puffins dans cet article.

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Scopoli’s Shearwater / Puffin de Scopoli, Ngor, Nov. 2017 (B. Piot)

 

Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo ssp lucidus) ⇒ Cormoran à poitrine blanche – White-breasted Cormorant (Phalacrocorax lucidus) ; à noter que le Grand Cormoran (Phalacrocorax carbo) est également présent sur la liste Sénégal. Le rattachement de la sous-espèce maroccanus du nord-ouest de l’Afrique à l’une ou l’autre de ces deux espèces reste sujet à discussion.

Milan parasite (Milvus migrans ssp parasitus) ⇒ Milan d’Afrique – Yellow-billed Kite (Milvus aegyptius parasitus), appelé “Milan noir d’Egypte” sur observado.org ; le Milan noir (M. migrans) est présent en tant qu’hivernant. Ce split n’a pas été retenu par le HBW, contrairement à la plupart des autres références.

Autour tachiro (Accipiter tachiro) ⇒ Autour de Toussenel – Red-chested Goshawk (Accipiter toussenelii) ; en Afrique de l’Ouest c’est la ssp. macroscelides qui est présente.

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Red-chested Goshawk / Autour de Toussenel, Dindefelo Feb. 2018 (A. Barbalat)

 

Talève sultane (Porphyrio porphyrio) ⇒ Talève d’Afrique – African Swamphen (Porphyrio madagascariensis)

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African Swamphen / Talève d’Afrique, Technopole, Feb. 2018 (B. Piot)

 

Calao à bec rouge (Tockus erythrorhynchus) ⇒ Calao occidental (ou Calao de Kemp) – Western Red-billed Hornbill (Tockus kempi)

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Western Red-billed Hornbill / Calao occidental, Guereo, March 2016 (B. Piot)

 

Hirondelle rousseline: la sous-espece domicella élevée au rang d’espèce devient l’Hirondelle ouest-africaine – West African Swallow (Cecropis domicella), résidente dans le sud et l’ouest du pays. L’Hirondelle rousseline (C. daurica) est donc également visible au Sénégal en tant qu’hivernant et migrateur venu des régions méditerranéennes.

Traquet de Seebohm – Seebohm’s Wheatear/Black-throated Wheatear (Oenanthe seebohmi) : Traité comme espèce par HBW et d’autres auteurs mais pas (encore) par IOC, pour qui c’est encore une sous-espèce du Traquet motteux ; voir notre récent article traitant de l’identification puis du statut de ce taxon.

Traquet à ventre roux (Thamnolaea cinnamomeiventris) ⇒ Traquet couronné – White-crowned Cliff Chat (Thamnolaea coronata) ; ce traquet inféodé aux milieux rupestres du sud-est du Sénégal hérite d’un nom on ne peut moins adapté à son plumage, sa tête étant uniformément noire.

Hypolaïs obscure – Western Olivaceous [= Isabeline] Warbler (Iduna opaca) élevée au rang d’espèce et séparée de l’Hypolaïs pâle – Eastern Olivaceous Warbler (Iduna pallida) ; si la première est très commune au Sénégal, la ssp. reiseri de l’Hypolaïs pâle est un visiteur bien plus rare et encore assez méconnu.

Eastern Olivaceous Warbler / Hypolaïs pâle, Guereo, mars 2016 (B. Piot)

Fauvettes « passerinettes » splittées en 3 espèces, dont 2 sont sur la liste du Sénégal : Fauvette passerinette – Western Subalpine Warbler (Sylvia inornata) et Fauvette de Moltoni – Moltoni’s Warbler (Sylvia subalpina). Nous avions résumé les connaissances sur l’aire d’hivernage de cette dernière dans un article paru dans la revue Malimbus en 2017.

Cisticole roussâtre (Cisticola galactotes) ⇒ Cisticole du Nil – Winding Cisticola (Cisticola marginatus)

Camaroptère à tête grise (Camaroptera brachyura) ⇒ Camaroptère à dos gris – Grey-backed Camaroptera (Camaroptera brevicaudata)

Gobemouche méditerranéen – Mediterranean Flycatcher (Muscicapa tyrrhenica) splitté du Gobemouche gris (M. striata) et également présent au Sénégal. Les deux taxons sont très délicats à identifier sur le terrain, et ce split n’a pas été adopté par toutes les instances.

Gobemouche de l’Atlas – Atlas Pied Flycatcher (Ficedula speculigera) élevé au rang d’espèce; le Gobemouche noir est bien sur également présent en hiver.

Pie-grieche méridionale ssp elegans et leucopygos – Southern Grey Shrike (Lanius meridionalis) ⇒ Pie-grièche grise – Great Grey Shrike (Lanius excubitor), attention taxonomie très fluctuante et potentiellement amenée à évoluer : il paraît assez logique que les Pie-grièches “grises” d’Afrique du nord et du Sahel soient élevées au rang d’espèce, la Pie-grièche du désert.

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“Great” Grey Shrike / Pie-grieche “grise” ssp. elegans, Gandiolais, Dec. 2017 (B. Piot)

 

Pie-grièche isabelle (Lanius isabellinus) ⇒ splittée en 2 espèces, Pie-grièche du Turkestan – Red-tailed Shrike (Lanius phoenicuroides) et Pie-grièche isabelle – Isabelline Shrike (Lanius isabellinus), celle présente au Sénégal étant vraisemblablement la première.

Drongo brillant (Dicrurus adsimilis) ⇒ Dicrurus divaricatus (Glossy-backed Drongo, nom français pas encore connu; on pourrait logiquement retenir le nom d’origine donc Drongo brillant).

Drongo de Ludwig (Dicrurus ludwigii) ⇒ Drongo occidental – Western Square-tailed Drongo (Dicrurus occidentalis) – voir notre billet au sujet de ce taxon.

Bruant cannelle (Emberiza tahapisi) ⇒ Bruant d’Alexander – Gosling’s Bunting, parfois aussi appellé Grey-throated Bunting (Emberiza goslingi).

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Gosling’s Bunting / Bruant d’Alexander, Gamadji Sare, Jan. 2018 (B. Piot)

 

Plusieurs splits sont attendus dans le futur, notamment la séparation des populations africaines et américaines de la Sterne royale, le changement de statut de la sous-espèce africaine de l’Agrobate roux (Agrobate mineur, qui deviendrait alors Cercotrichas minor), la séparation entre le Tisserin à cou noir et le Tisserin pirate (Ploceus brachypterus), l’Amarante masqué splitté en trois taxons distincts (dans la sous-région, elle devient alors l’Amarante vineux, Lagnosticta vinacea). Et bien d’autres encore !

Sterne royale / Royal Tern ssp. albidorsalis, île aux oiseaux, delta du Saloum, mai 2012 (S. Cavaillès)

 

Affaire à suivre!

 

Simon & Bram

 

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