Combien de Vautours charognards à Dakar?

Le Vautour charognard connaît l’un des déclins les plus drastiques de tous les oiseaux africains, accusant des chutes d’effectifs impressionnants. Au point de disparaître quasiment entièrement de certaines régions! C’est le cas par exemple du Niger ou du Mali, et de manière plus globale en Afrique de l’Est et australe hors des parcs nationaux et autres espaces protégés suffisamment vastes. La généralisation de ce déclin à travers la majeure partie de son aire a récemment justifié l’inclusion de ce vautour, tout comme plusieurs autres, sur la liste rouge d’espèces menacées d’extinction dans la catégorie « CR » (en danger critique d’extinction) par BirdLife International.

Ce vautour au nom peu imaginatif (car appartenant à un groupe d’oiseaux dont quasiment tous les membres sont charognards!), aussi connu sous le nom tout aussi peu évocateur de “Percnoptère brun”, est encore relativement commun à Dakar. On les voit effectivement un peu partout survolant la ville, y compris chez moi aux Almadies, près du bureau à Sacré-Cœur, sur les lampadaires de l’autoroute ou encore le long de la Corniche entre les Mamelles et le Plateau… Il suffit généralement de scruter le ciel pendant 10-15 minutes pour en voir au moins un ou deux en train de tourner à la recherche de nourriture ou en route vers un dortoir nocturne.

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Hooded Vulture / Vautour chargnard, baie de Hann, août 2016

Au premier abord on pourrait donc se dire que tout va bien. Et ben non… il se trouve que l’espèce a fortement régressé ici comme ailleurs sur le continent. Mais dans quelles proportions au juste ?

Depuis début 2016, Wim Mullié, Theo Peters et votre serviteur se sont intéressés de plus près au sujet, au point d’entamer des dénombrements aussi systématiques que possible et de rassembler toute information connue à propos de ce sympathique vautour. Wim en particulier a été instrumental dans la mise en œuvre de cette petite étude, qui a résulté en une presentation orale lors du congrès pan-africain d’ornithologie qui s’est tenu à Ngor en octobre dernier. Et surtout, un article sera publié prochainement dans la revue d’ornithologie africaine Ostrich. Nous avons pu estimer la population actuelle et il nous a été possible d’effectuer certaines comparaisons avec des données historiques, notamment celles obtenues par Jean-Marc Thiollay à la fin des années 60. De plus, nous avons cherché à identifier les causes probables du déclin accusé par le Vautour charognard à Dakar.

Hooded Vulture / Vautour charognard

Hooded Vulture / Vautour charognard adulte, photographié depuis mon balcon

Donc justement, qu’en est-il de la situation actuelle ? Sur la base de multiples comptages aux dortoirs répartis à travers la ville effectués avant, pendant et vers la fin de la saison des pluies, nous estimons que l’effectif total se situe actuellement autour des 400 individus. En 1969, l’estimation faite par Jean-Marc – certes assez grossière, mais selon nous reflétant la bien la situation de l’époque – était de pas moins de 3000 individus ! C’est dire que le déclin est drastique.

La diminution progressive, peut-être même exponentielle, a sans doute commencé il y a plusieurs décennies, car déjà au milieu des années 90 Jean-Marc a noté des disparitions locales et des déclins importants dans plusieurs régions de l’Afrique de l’Ouest. Une étude menée par Jean-Pierre Couzi (lui aussi l’un des sept co-auteurs de notre publication) sur les oiseaux charognards et « détritivores » de Dakar avait abouti à environ 500 oiseaux, bien qu’il soit probable que l’effectif réel était plus élevé que cela.

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Hooded Vulture / Vautour charognard sur bassin petrolier, Hann, août 2016

Les raisons de ce déclin drastique (plus de 85% !) sont sans doute multiples, mais trois d’entre elles ressortent comme étant probablement les plus importantes :

  • La disparition des sites de nidification et de nourrissage en raison de l’urbanisation galopante et incontrôlée mais aussi de meilleures pratiques d’hygiène (en particulier dans les abattoirs – pour le reste j’en conviens c’est un concept tout relatif lorsqu’on voit les tas de déchets en ville comme à la campagne),
  • L’empoisonnement – intentionnel ou non – surtout à travers des poisons destinés aux chiens errants, dont une campagne à grande échelle a été initiée par les autorités en 2010 pour combattre la rage : entre 2011 et 2016, plus de 21 000 chiens ont ainsi été éradiqués au moyen d’appâts empoisonnés par la strychnine.
  • La capture de vautours pour les besoins de la médecine traditionnelle et pour utilisation comme fétiches (rien que sur la Petite Côte, ceux-ci seraient utilisés contre la lèpre, les maux d’estomac et des reins, les parasites, pour se rendre invulnérable, pour réussir un examen et/ou se faire promouvoir, ou encore pour voir le futur… et ce autant chez les Sérère que les Wolof et les Bambara).

Cela dit, ce sont pour l’essentiel des hypothèses, et beaucoup de questions restent sans réponse: les raisons évoquées méritent d’être confirmées par des études plus poussées. Il reste beaucoup à apprendre sur cette espèce, aussi bien dans les zones où elle est en diminution que dans celles où il en reste encore beaucoup. Heureusement que ces zones existent encore, même pas trop loin d’ici : en Gambie, en Casamance, en Guinée-Bissau et à Conakry il reste énormément de Vautours charognards. Henriques-Baldé a estimé l’effectif bissau-guinéen à pas moins de 76 000 individus, et personnellement j’ai pu voir à quel point il y a des dizaines voire des centaines d’oiseaux à Ziguinchor, le Cap Skirring ou encore à Conakry. Plus de 3000 subsistent dans la région de Banjul. A l’autre opposé du spectre, j’ai pu constater l’absence ou la quasi-absence des Vautours charognards à Bamako, Ouagadougou ou encore Niamey.

Tout n’est donc pas perdu à Dakar et il est peut-être possible de ralentir la disparition de l’espèce dans nos cieux… mais il faudra y mettre les moyens et faire vite: préserver les sites de repos et de nidification, arrêter l’empoissonnement, stopper le commerce des parts de vautours (et surtout la demande de la part des consommateurs !), assurer la disponibilité de nourriture et ce particulièrement à travers une collaboration avec les abattoirs. Autant dire que le futur est loin d’être rose pour cet oiseau si caracteristique des villes sénégalaises

Je me trompe peut-être, mais je n’ai pas encore vu beaucoup d’actions de la part des quelques rares acteurs capables de les mettre en œuvre au niveau national voire régional – BirdLife surtout, mais aussi NCD et les diverses autorités compétentes. Des symposiums, dépliants, ateliers et autres déclarations politiques ne suffiront pas : ‘faudrait qu’ils se réveillent rapidement car bientôt ce sera trop tard…

Hooded Vulture / Vautour charognard

Hooded Vulture / Vautour charognard adulte au Technopole, avril 2016

Pour en savoir plus…

Buij R, et al. (2016): Trade of threatened vultures and other raptors for fetish and bushmeat in West and Central Africa. Oryx 50: 606-616.

Jallow et al. (2016): High population density of the Critically Endangered Hooded Vulture Necrosyrtes monachus in Western Region, The Gambia, confirmed by road surveys in 2013 and 2015. Malimbus 38: 23-28.

Ogada et al. (2015): Another Continental Vulture Crisis: Africa’s Vultures Collapsing toward Extinction. Conservation Letters 9: 89-97.

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5 responses to “Combien de Vautours charognards à Dakar?”

  1. Luis Carazo says :

    The first picture it is does not a Hooded but a Cinereous Vulture.

    • bram says :

      Thank you Luis. However, I’m confident that this is a young Hooded Vulture. Besides the size (not visible of course on the picture), note the length and shape of the tail, and the six (rather than 7 as in Cinereous) “fingers” formed by the outermost primaries.

  2. Fall says :

    Ils faut les sauver😏😏Et les modernisés…..Toutes vies est précieuse.. Personnellement j’en trouve des Amis

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